SINO-AMÉRICAINES (HISTOIRE DES RELATIONS)

SINO-AMÉRICAINES (HISTOIRE DES RELATIONS)
SINO-AMÉRICAINES (HISTOIRE DES RELATIONS)

Si quelqu’un s’était permis de prédire, en février 1971, le voyage de février 1972 du président des États-Unis, Richard Nixon, à Pékin ainsi que les conférences au sommet avec Mao Zedong et Zhou Enlai, une telle prédiction eût été accueillie avec sarcasme. Février 1971, c’est l’incursion sud-vietnamienne au Laos, et Washington semblait vouloir étendre à nouveau la guerre jusqu’aux frontières méridionales de la Chine. Un an auparavant, les communistes chinois avaient rompu les conversations sino-américaines de Varsovie en raison de l’invasion du Cambodge par les Américains. Malgré les tentatives de conciliation faites par le gouvernement de Nixon pour assouplir les restrictions aux voyages et au commerce et faciliter les échanges, il semblait peu vraisemblable que des changements notables pussent intervenir dans l’impasse où se trouvaient Pékin et Washington depuis vingt-deux ans.

Aussi, quelle surprise ne produisirent pas les événements intervenus depuis: d’abord, la «diplomatie du ping-pong» du printemps de 1971; puis, le 15 juillet, la révélation par le président Nixon du voyage secret d’Henry Kissinger, qui avait rencontré Zhou Enlai à Pékin. Visiblement, une ère était terminée, une autre commençait. Les relations sino-américaines de l’avenir ne sont peut-être pas très claires, mais un résultat est certain: les rapports avec l’Est asiatique ne seront plus jamais tout à fait les mêmes.

1. Vers le sommet de Pékin

En prenant ses fonctions en janvier 1969, Nixon acceptait l’héritage d’une politique chinoise qui était en partie son œuvre; en tant que membre du Congrès et sénateur de Californie, il avait en effet, deux décennies plus tôt, excité les passions politiques des Américains à propos du prétendu «abandon de la Chine» au communisme sous le gouvernement de Truman. Et comme vice-président sous Eisenhower, il s’était fait le défenseur convaincu de la politique de J. F. Dulles, qui prônait la tenue à l’écart et l’isolement de la république populaire de Chine.

Toutefois, en 1969, l’attitude de Nixon avait commencé de changer, et cet héritage politique également. Les présidents Kennedy et Johnson avaient entrepris une légère désescalade de la polémique et cherché un apaisement tendant à faciliter les voyages entre l’Amérique et la Chine – bien que les problèmes internes de la Chine et l’engagement des Américains au Vietnam aient empêché une réelle détente. Entre-temps, Nixon avait commencé lui-même, dès 1966, à parler de la Chine en termes plus conciliants. Pékin, de son côté, avait, en décembre 1968, invité le nouveau gouvernement à discuter les possibilités d’une «coexistence pacifique».

À partir du printemps 1969, on peut distinguer un double processus: d’abord une série de démarches unilatérales du gouvernement Nixon exprimant son désir d’améliorer les relations par un abaissement des barrières douanières, facilitant le commerce américain avec la Chine; ensuite, l’accession au pouvoir, à la suite de la révolution culturelle, de dirigeants chinois aux yeux de qui l’Amérique représentait une menace toujours plus réduite pour l’Asie et pourrait même devenir un atout.

Pour les deux parties, les problèmes posés par l’Union soviétique ont joué un rôle important dans le changement d’attitude. Washington cherchait un appui supplémentaire pour conclure un accord américano-soviétique sur toute une série de questions, dont celles de Berlin et de la limitation des armements stratégiques. L’idée fixe d’une hostilité sino-américaine hantait les dirigeants de Moscou. Par ailleurs, les combats sporadiques menés tout au long des 4 500 kilomètres de la frontière sino-soviétique étaient entretenus par des rumeurs inquiétantes venant du Kremlin, peut-être pour renforcer la doctrine asiatique de Brejnev, et maintenant la possibilité d’une attaque nucléaire préventive de la part des Soviétiques; l’U.R.S.S. représentait une menace d’autant plus sérieuse pour les Chinois.

Donc, tant pour Washington que pour Pékin, la détente sino-américaine semblait une éventualité de plus en plus salutaire et, en tout cas, une expérience à tenter. Pour l’Amérique, la détente avait l’avantage d’être, sinon une solution, du moins une diversion aux problèmes soulevés en Indochine, une façon d’éviter une nouvelle guerre et de tirer son épingle du jeu, du moins devant une partie de l’opinion nationale. Pour la Chine, il s’agissait notamment de constituer un écran contre l’accroissement spectaculaire de la puissance économique – et sans doute militaire – du Japon, peu à peu contenu grâce à la présence américaine dans l’Est asiatique.

Pour déclencher le processus de détente, plusieurs conditions semblaient requises: que l’Amérique exprime clairement ses intentions politiques; qu’elle confirme ses intentions par des actes; qu’on trouve une façon de satisfaire les deux parties quant au point central du désaccord sino-américain, Taiwan ; et, enfin, que des contacts secrets bilatéraux s’établissent au sommet.

Rétrospectivement, il semble bien que les initiatives de Nixon quant aux échanges commerciaux entre les États-Unis et la Chine, de pair avec les «politesses» du gouvernement mentionnant la «république populaire de Chine» sous son nom officiel, aient abouti à une attitude positive. Le message d’ouverture fut appuyé par des intermédiaires de haut niveau, notamment par le président de Gaulle et par Ceau ずescu, Premier ministre de Roumanie. Dès 1970, les Chinois furent convaincus que le président Nixon envisageait sérieusement de venir à Pékin, et, à la fin de l’automne, le journaliste Edgar Snow annonçait que Mao consentait à le recevoir. Paradoxalement, c’est l’incursion au Laos en février 1971 qui semble avoir convaincu les Chinois de traiter avec Nixon. Après l’échec de cette aventure, Washington n’ayant pas répliqué par l’escalade, Pékin jugea que Nixon était, en fait, décidé à mettre fin à la guerre, si long que ce dût être.

Dans ce cadre, le match de ping-pong apparaît alors comme une manifestation d’intention non équivoque de la part des Chinois; puis, des intermédiaires effectuent d’autres sondages, et Kissinger part à Pékin en mission secrète afin de s’entretenir directement avec le principal responsable de la politique chinoise.

L’objet essentiel de cette mission était de déterminer si les deux parties avaient suffisamment d’intérêts communs pour permettre la visite présidentielle. Pour des raisons à la fois internes et internationales, les Américains devaient avoir la certitude qu’elle n’aurait pas «l’air» d’une humiliation. Les Chinois avaient besoin d’être rassurés sur les intentions des Américains au sujet de Taiwan. Les deux parties furent satisfaites, et la scène était prête pour une visite qui allait servir les intérêts des Chinois et ceux des Américains.

Dans ce contexte, le voyage de Nixon à Pékin en février 1972 était un symbole de succès pour les deux pays. D’une part, Pékin était fier de ce «pèlerinage» en Chine du leader de la plus grande puissance mondiale; par cette apologie tacite, un pont était jeté sur un abîme vieux de vingt-trois ans. D’autre part, Nixon fut acclamé dans son propre pays (et ailleurs, dans une certaine mesure) pour avoir osé un coup plein de hardiesse – un acte de courage et d’imagination, à comparer, en quelque sorte, à une promenade sur la Lune.

2. Le processus de normalisation

La visite de Richard Nixon, président des États-Unis, en février 1972 représente un événement majeur dans les relations entre les deux pays. Elle achève une longue période d’antagonismes et inaugure un processus de rapprochement et de normalisation. Bien que les différends concernant l’avenir de Taiwan ne fussent pas résolus, comme le démontre le communiqué de Shanghai signé par les deux pays en 1972, les relations sino-américaines se développèrent rapidement. Des contacts réguliers furent établis entre les ambassades de Chine et des États-Unis à Paris, où s’engagèrent des discussions sur les différends bilatéraux. Henry Kissinger se rendit en Chine, en moyenne, deux fois par an pour procéder à des échanges de vues avec les autorités de Pékin sur les problèmes internationaux, ainsi que sur un grand nombre de problèmes bilatéraux. Les échanges commerciaux entre les deux pays progressèrent rapidement. D’environ 5 millions de dollars en 1971, ils passèrent à 934 millions en 1974, faisant ainsi des États-Unis le deuxième partenaire commercial de la Chine. Les relations culturelles, aussi, se développèrent rapidement. À la fin de 1974, plus de 8 000 Américains avaient déjà visité la Chine.

L’événement le plus important, cependant, fut l’accord conclu en février 1973 sur l’établissement de «bureaux de liaisons» dans les capitales respectives. Chaque mission eut à sa tête un diplomate chevronné: David Bruce pour les États-Unis; Huang Chen, ancien ambassadeur en France, pour la Chine. L’ouverture de ces «bureaux» constituait une concession importante de la part de la Chine, qui avait refusé jusque-là d’établir des missions diplomatiques dans les pays qui reconnaissaient Taiwan. En acceptant d’ouvrir un bureau à Washington, la direction du Parti communiste chinois optait pour une politique de normalisation avant même la solution du problème taiwanais.

Ce changement majeur dans la politique chinoise paraît avoir eu deux causes principales. Tout d’abord, la situation internationale devenait de plus en plus critique et de plus en plus défavorable à la Chine. La menace soviétique s’était accrue et l’atmosphère internationale était lourde de rumeurs concernant une possible attaque nucléaire soviétique préemptive contre la Chine. Ensuite, Richard Nixon, durant sa visite, avait, semble-t-il, informé secrètement les Chinois de son intention de normaliser complètement ses relations avec Pékin s’il était réélu en novembre 1972. La Chine avait donc adopté une attitude plus modérée sur la question de Taiwan. En plus d’ouvrir leur «bureau de liaisons» à Washington, qui jouissait d’ailleurs de nombreux privilèges diplomatiques, les dirigeants chinois ont déclaré à plusieurs occasions que l’intégration de Taiwan n’était pas urgente et que son rattachement au continent devait être envisagé dans une perspective à long terme. La manifestation la plus représentative de cette nouvelle politique fut l’entrevue de cinq heures que Zhou Enlai accorda à un groupe de Chinois d’outre-mer en août 1973. Au cours de cette entrevue, il déclara que Taiwan était un problème complexe et que la Chine désirait négocier avec le régime en place. En même temps le gouvernement de Pékin prit un certain nombre d’initiatives pour convaincre le peuple taiwanais des avantages de l’unification avec le continent. Un grand nombre de Chinois d’origine taiwanaise résidant aux États-Unis et au Japon furent invités à visiter la Chine. Le comité révolutionnaire du Guomindang, qui avait rejoint le Parti communiste en 1948 et avait été marginalisé après la révolution, fut ressuscité. Bien que cette campagne ait eu pour but de convaincre les habitants de Taiwan, elle constituait pour les États-Unis un signe de complaisance et témoignait des intentions pacifiques du gouvernement de Pékin. Il convient de noter que la plupart de ces actions et de ces initiatives coïncidèrent avec la sixième visite de H. Kissinger à Pékin (nov. 1973). Au cours de cette visite, les Chinois firent montre d’une grande ouverture d’esprit sur le problème de Taiwan. Le communiqué publié conjointement à l’issue des entretiens entre H. Kissinger et les Chinois ne contenait pas d’expressions aussi catégoriques que celles qui avaient été utilisées pendant la visite de Nixon pour expliquer le point de vue chinois. Des formules comme «la question de Taiwan est la question cruciale empêchant la normalisation des relations entre les deux pays» ou «la libération de Taiwan est le problème interne de la Chine» furent omises du communiqué.

3. L’impasse diplomatique de 1974

La réponse des États-Unis fut très réservée. Trois développements majeurs engendrèrent une impasse diplomatique dans les relations sino-américaines. Tout d’abord, la situation interne américaine ne se prêtait pas à la continuité de la politique de rapprochement avec Pékin. L’affaire du Watergate avait considérablement affaibli la position de R. Nixon. Confronté à une menace sérieuse pour sa carrière politique, il n’eut ni le temps de concentrer son attention sur la Chine, ni l’envie de s’aliéner certains membres conservateurs du Congrès constituant le lobby de Taiwan. Mais cela ne sauva pas R. Nixon. Il dut quitter la Maison-Blanche en août 1974. La normalisation des relations sino-américaines en souffrit inévitablement, puisque c’était clairement le président qui avait lancé le processus et paraissait s’être engagé personnellement à le poursuivre. Son successeur, Gerald Ford, eut l’occasion de mettre à exécution les projets de R. Nixon, mais, lui aussi, pour des raisons intérieures évidentes, s’opposa à la continuation du processus.

La déception de la Chine fut encore aggravée par un autre événement inattendu: la détente soviéto-américaine, dont la manifestation la plus significative fut l’accord S.A.L.T. I en 1974. Plus de 17 heures de discussions franches entre H. Kissinger et Zhou Enlai en juillet 1972 les avaient amenés à la conclusion qu’un important terrain d’entente existait entre les deux pays en ce qui concernait la menace d’expansion soviétique et la nécessité impérieuse de la contenir. C’est, semble-t-il, parce qu’ils étaient convaincus de l’existence d’un tel terrain d’entente que les Chinois s’étaient décidés à normaliser leurs relations avec les États-Unis. Le rapprochement américano-soviétique – qui se produisit au moment même où Pékin adoptait une position plus modérée sur la question de Taiwan – fut ressenti comme une trahison par la Chine, qui sortait péniblement du cauchemar de la révolution culturelle.

En même temps, les autorités de Pékin commencèrent à avoir de sérieux doutes sur les intentions réelles des États-Unis sur la question taiwanaise. Les débats aux États-Unis à propos de Taiwan firent naître en Chine la crainte que le gouvernement de Washington ne se montrât peu disposé à chercher un terrain d’entente avec Pékin sur cette question.

Au lieu de déclasser le poste diplomatique de Taipeh – comme la Chine l’avait d’abord espéré –, un diplomate de grade supérieur, Leonard Unger, y fut nommé; de plus, deux nouveaux consulats taiwanais reçurent l’autorisation d’ouvrir leurs portes aux États-Unis, et des crédits américains furent octroyés à Taiwan pour l’achat de matériel militaire.

Tous ces éléments poussèrent la Chine à adopter de nouveau une attitude très ferme envers les États-Unis. Les négociations sur les créances et les dettes entre les deux pays furent mises en veilleuse, au moment même où un accord paraissait devoir se réaliser. Le gouvernement de Pékin refusa aux correspondants américains la permission de résider en Chine, bien qu’ils eussent le droit d’y séjourner pendant les visites officielles. Les échanges commerciaux se contractèrent fortement. Leur montant total chuta de 934 millions de dollars en 1974 à 461 millions en 1975 et à 336 millions en 1976.

La visite du président Gerald Ford en Chine ne fut pas non plus une réussite. Bien que les autorités de Pékin l’aient reçu correctement, elles lui firent clairement savoir qu’elles étaient mécontentes du manque de progrès sur la question de Taiwan, et qu’elles étaient opposées à la détente américano-soviétique. Le fait que les deux pays ne purent pas se mettre d’accord sur un communiqué conjoint montre bien le niveau des discordes.

Les relations demeurèrent gelées pendant presque quatre ans. Les Chinois rappelèrent clairement à plusieurs reprises que leurs relations avec les États-Unis continueraient à stagner, même dans les domaines les moins épineux, si le gouvernement de Washington refusait de rompre ses relations diplomatiques avec Taiwan; d’annuler le traité de sécurité mutuelle de 1954; de retirer les dernières troupes américaines de Taiwan. «Si vous voulez normaliser les relations», déclara un haut fonctionnaire chinois au Washington Post en avril 1974, «vous devez durcir les relations avec Taiwan, retirer vos troupes et annuler le traité [de défense].» Pour les Chinois, Taiwan n’était pas une question sur laquelle ils pouvaient transiger avec les Américains, du moins en ce qui concerne la présence militaire et diplomatique de ces derniers.

4. L’établissement des relations diplomatiques

Les événements prirent une nouvelle tournure en 1978. D’abord, la situation politique avait évolué aux États-Unis comme en Chine. La crise du Watergate était terminée, et un nouveau président avait été installé. En Chine, l’incertitude qui régnait dans le pays après la mort de Mao Zedong s’était dissipée avec le retour en force de Deng Xiaoping en 1978. Ensuite, une fois de plus, des difficultés avaient surgi entre Washington et Moscou: les négociations soviéto-américaines étaient dans l’impasse et l’offensive soviétique en Afghanistan devenait menaçante. Enfin, les conditions ambiantes étaient favorables, car les nouveaux chefs politiques des États-Unis et de la Chine désiraient normaliser leurs relations.

Les négociations ont finalement commencé à progresser au printemps de 1978. Le gouvernement Carter prit alors la décision de sortir de l’impasse, même si cela signifiait faire des concessions. Le conseiller à la sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, se rendit à Pékin pour informer les Chinois que les États-Unis s’étaient décidés à normaliser complètement leurs relations avec la Chine. Peu après, dans l’été de la même année, le chef du bureau de liaisons américain, Leonard Woodcock, reçut plein pouvoir pour négocier avec les Chinois. Pendant ce temps-là, à Washington, Z. Brzezinski rencontra une douzaine de fois des envoyés spéciaux chinois, dans le secret absolu.

La réunion décisive fut celle où le président Carter définit les termes de la normalisation. Pékin, il insista, devait autoriser les États-Unis à maintenir leurs relations économiques et culturelles avec Taiwan et devait accepter tacitement de ne pas rattacher Taiwan à la Chine par la force. Cette rencontre fut suivie d’une réunion, en octobre 1978, entre Jimmy Carter et ses conseillers au cours de laquelle ils fixèrent la date limite du 1er janvier 1979 pour compléter le processus de normalisation avec la Chine. Les négociations étaient probablement déjà bien avancées pour permettre à J. Carter de fixer une telle date limite.

Quand il devint de plus en plus évident que le gouvernement des États-Unis voulait sérieusement achever le processus de normalisation, les Chinois commencèrent à réagir. Alors qu’ils insistaient encore publiquement sur le retrait des Américains de Taiwan, ils envoyèrent de nombreux signaux montrant l’évolution de leur position sur la question. Cela devint particulièrement évident vers août 1978. Premièrement, tout en annonçant l’instauration de relations diplomatiques avec la Libye, Pékin n’insista pas sur la rupture des relations diplomatiques entre la Libye et Taiwan. À première vue, cela peut paraître une concession gratuite, puisque Tripoli n’entretenait pas de relations diplomatiques avec Taipeh, mais le fait que la Chine n’exigea pas, comme elle l’avait fait dans le passé, une déclaration officielle de la Libye concernant Taiwan constituait un changement radical de la politique chinoise. Deuxièmement, Pékin ne s’opposa pas à la présence simultanée d’une délégation taiwanaise lors d’une conférence internationale à T 拏ky 拏. Troisièmement, les Chinois acceptèrent la création d’un programme d’échanges d’étudiants sino-américain avant l’instauration officielle des relations diplomatiques.

Tout cela permit d’arriver au dernier acte d’une négociation longue et difficile. Puisque les États-Unis avaient abandonné tout espoir d’obtenir de la part de la Chine des assurances officielles concernant la non-utilisation de la force pour rattacher Taiwan au continent, l’obstacle le plus important avait disparu. En échange, Washington obtint trois concessions majeures. D’abord, les Chinois acceptèrent que le traité entre Washington et Taipeh continue à produire ses effets jusqu’à son terme légal à la fin de 1979. Ensuite, ils consentirent à ce que les États-Unis fassent – sans être contredits publiquement par Pékin – une déclaration unilatérale exprimant l’espoir que la question de Taiwan serait résolue dans la paix. Enfin, la concession la plus importante fut l’acceptation par les Chinois d’un compromis avec Washington sur la question de l’aide militaire américaine à Taipeh: il fut admis que Washington annoncerait son intention de poursuivre son aide militaire envers Taiwan et que la Chine, tout en manifestant son opposition à cette déclaration, ne ferait rien pour mettre en péril le processus de normalisation, compte tenu du fait que les États-Unis avaient accepté de ne pas vendre d’armes à Taiwan tant que le traité de sécurité entre Washington et Taipeh resterait en vigueur.

5. De nouveaux domaines de coopération

L’établissement de relations diplomatiques en janvier 1979 rendit possible une coopération fructueuse entre Washington et Pékin. En très peu de temps, le niveau des relations bilatérales entre la Chine et les États-Unis fut comparable à celui des relations que la Chine entretenait avec les protagonistes du système international. Les journalistes américains, par exemple, reçurent l’autorisation de résider en Chine, et le quota de 20 000 entrées alloué aux touristes américains pour l’année 1979 fut épuisé en deux mois. Les créances et les actifs bloqués de part et d’autre depuis 1949 furent débloqués. Divers protocoles ou accords furent conclus sur des sujets comme la coopération spatiale, la coopération maritime, la pêche, la science, la technologie et la navigation. Plus important encore, un accord commercial fut conclu en mai et signé en juillet de la même année.

Sur le plan politique, aussi, on trouva un terrain d’entente. Dans un premier temps, Américains et Chinois rapprochèrent leurs points de vue sur un grand nombre de questions internationales dans lesquelles Moscou était impliqué. Que ce soit la situation du Moyen-Orient, la crise indochinoise, l’Afrique du Sud ou le golfe Arabo-Persique, les deux pays avaient les mêmes craintes, bien qu’ils n’eussent pas les mêmes solutions. Dans un second temps, s’opéra un rapprochement politico-stratégique. Les deux pays arrivèrent à la conclusion commune que le maintien de l’indépendance de chacun d’entre eux était vital pour la sécurité de l’autre. La troisième étape fut plus opérationnelle, car elle impliqua une coordination des actions de la Chine et des États-Unis pour contenir la menace soviétique. L’intervention de l’U.R.S.S. en Afghanistan fut le véritable catalyseur qui poussa les deux pays à atteindre ce niveau opérationnel. Pendant la visite du secrétaire d’État à la Défense, Harold Brown, en Chine en janvier 1980, les deux pays commencèrent à élaborer un plan pour contenir le danger soviétique, qu’ils percevaient de la même manière.

6. La résurgence des difficultés

Cependant, après une période initiale d’environ deux ans, l’euphorie qui avait tout d’abord caractérisé les relations sino-américaines commença à s’estomper. Les vieux différends qui avaient été mis en veilleuse resurgirent, rendant les nouveaux différends encore plus visibles. La vision politico-stratégique commune qui avait contribué à rapprocher les deux pays commença à se dissiper. Les relations ne furent certes pas rompues, du moins en ce qui concerne les Chinois, mais elles devinrent plus froides, plus prudentes et plus méfiantes. Cette nouvelle situation avait deux causes principales: la résurgence de difficultés dans les relations bilatérales et un changement d’orientation de la politique extérieure de la Chine.

Les différends bilatéraux

Le premier problème fut inévitablement celui de Taiwan. En vertu du Taiwan Relations Act, voté par le Congrès américain quelques mois après l’établissement des relations diplomatiques (avr. 1979), les États-Unis continuèrent à fournir des armes à Taiwan. En fait, en 1979 et en 1980, les ventes d’armes américaines à Taipeh atteignirent un demi-milliard de dollars par an. Bien que les Chinois n’eussent pas soulevé d’objections majeures contre le principe de telles ventes au moment critique des négociations sino-américaines, ils se préoccupèrent de plus en plus de l’augmentation incessante de ces ventes. Cela est d’autant plus compréhensible qu’ils avaient espéré qu’elles diminueraient avec le temps. Ils prirent finalement la décision de soulever cette question publiquement, car laisser les États-Unis poursuivre des livraisons d’armes sophistiquées à Taiwan mettait évidemment en péril leurs plans de réunification. De plus, l’attitude des Américains ne pouvait qu’encourager les dirigeants de Taipeh à se montrer encore plus intransigeants face aux propositions chinoises en faveur d’un dialogue bilatéral.

Dans la seconde moitié de l’année 1981, les autorités de Pékin adoptèrent donc une position plus ferme sur la question des fournitures d’armes à Taiwan. Elles demandèrent aux États-Unis de limiter ces fournitures en qualité et en quantité. Un autre point de mésentente concernait les modalités de la réunification éventuelle de Taiwan avec le continent. Alors que les États-Unis exigeaient une réunification pacifique, la Chine avait toujours insisté sur la nécessité de maintenir ouvertes toutes les options, y compris celle de l’utilisation de la force.

Finalement, après des négociations intenses, on arriva en août 1982 à un compromis sur les deux problèmes. Les États-Unis s’engagèrent à ne dépasser, ni en qualité ni en quantité, le niveau atteint par leurs fournitures, jusqu’à ce qu’ils s’accordent avec la Chine sur une solution finale à ce problème. Les Chinois, pour leur part, déclarèrent que leur politique fondamentale était de s’efforcer de trouver une solution pacifique à la question taiwanaise. L’accord ainsi réalisé était assez vague pour permettre aux Américains d’établir un lien entre un arrêt éventuel des ventes d’armes à Taiwan et la question de la réunification pacifique des deux pays, tandis qu’il laissait aux Chinois la possibilité d’insister sur le fait que leurs différentes options sur la réunification restaient ouvertes. Cette ambiguïté voulue dans l’accord sino-américain ne pouvait que conduire à de nouvelles querelles. C’est ce qui ne manqua pas de se produire, particulièrement du côté des Chinois, qui exprimèrent leurs préoccupations à propos de ce qu’ils considéraient comme des violations répétées de l’accord d’août 1982. Par exemple, en février 1983, ils donnèrent comme preuve de la mauvaise foi des États-Unis la vente d’avions 62-F à Taiwan. Plus troublante pour Pékin fut l’interprétation que donna le président Reagan de l’accord sino-américain le 26 février 1983, quand il déclara que «si un jour les deux pays [république populaire de Chine et Taiwan] s’entendent et deviennent une seule Chine par une voie pacifique, alors il ne sera plus nécessaire de vendre des armes à Taiwan». Cette déclaration fut dénoncée par Hu Yaobang, secrétaire général du Parti communiste chinois en juillet 1986. Il mit en doute la bonne foi des États-Unis à appliquer le communiqué sino-américain d’août 1982, et attaqua particulièrement la décision américaine d’autoriser la vente de technologies sophistiquées aux gouvernants de Taiwan «pour qu’ils aient un équipement militaire d’avant-garde». Il déclara aussi «qu’il y avait un tourbillon de négociations secrètes concernant un avion de chasse à réaction du dernier modèle pour Taiwan». En fait, les relations sino-américaines sur cette question étaient si tendues que les Chinois retardèrent de nouveau pendant au moins un an la visite de Hu Yaobang aux États-Unis: une telle visite, dans leur esprit, ne se justifiait que si elle conduisait à des résultats spectaculaires.

Les relations économiques

Après 1979, les relations économiques entre les deux pays se développèrent rapidement. Le commerce, qui était de seulement 2,4 milliards de dollars en 1979, s’élevait à 5,2 milliards en 1985 et à 7,3 milliards en 1986. Les investissements des États-Unis en Chine avaient atteint le chiffre de 2,1 milliards de dollars en 1985. De plus, les ventes de brevets américains à la Chine progressaient à un rythme soutenu (en 1986, par exemple, 60 p. 100 des demandes d’acquisition de tels brevets par la Chine avaient été acceptées par Washington). Bien que les relations sino-américaines puissent, à première vue, sembler impressionnantes en comparaison de ce qu’elles étaient avant l’instauration des relations diplomatiques, elles paraissent plus modestes quand on les compare avec celles que la Chine entretient avec d’autres pays. Le Japon et Hong Kong, par exemple, dominent le commerce extérieur de la Chine. En 1986, ils représentaient 42 p. 100 des importations de la Chine et 47 p. 100 de ses exportations. Dans le domaine des investissements étrangers aussi, le chiffre de 2,1 milliards de dollars n’est pas «astronomique», comparé aux investissements des États-Unis dans d’autres pays. De plus, les relations économiques des États-Unis avec la Chine se heurtent à de nombreux obstacles. D’abord, la Chine doit faire face de plus en plus au problème du déficit de sa balance des paiements avec les États-Unis. Ce déficit s’élevait à plus de 2 milliards de dollars en 1986 et, selon toutes les prévisions, il augmentera encore si, toutefois, les relations commerciales entre les deux pays s’intensifient, car les Chinois ont plus besoin de produits américains que les Américains n’ont besoin de produits chinois. À ce problème s’ajoute celui des pressions protectionnistes qui se font jour aux États-Unis et que la Chine ressent de plus en plus, particulièrement dans le secteur textile, où elle a développé une capacité exceptionnelle d’exportation. Les difficultés dans ce secteur expliquent pourquoi il fallut plus de deux ans aux deux pays pour renégocier le traité de commerce bilatéral. Le renouvellement de cet accord n’empêcha d’ailleurs pas le Congrès des États-Unis d’adopter la loi Jenkins-Thormond, qui freine les importations de textiles en provenance des pays en voie de développement, y compris la Chine.

7. Les innovations de la politique chinoise

La récente réorientation de la politique extérieure de la Chine représente le deuxième élément qui a rétréci le champ des relations sino-américaines.

Changement à l’égard de l’Union soviétique

Pendant plusieurs années, avant et après la mort de Mao Zedong, tout le poids stratégique de la politique extérieure chinoise porta sur l’établissement d’un front international commun contre l’Union soviétique. Le régime soviétique, et ce qu’il représentait, était perçu comme une menace très importante pour la Chine, menace contre laquelle toute alliance était justifiée, même avec les États-Unis. La politique extérieure de la Chine pendant les années soixante-dix fut largement dominée par cet objectif. Bien que l’Amérique capitaliste ne fût certainement pas considérée comme une alliée digne de confiance, un accord avec elle semblait nécessaire pour prévenir toute menace soviétique.

Depuis 1982, tout cela a changé. L’Union soviétique n’est plus perçue comme une menace de grande importance. Elle ne paraît pas être aussi agressive que pendant les années soixante-dix. D’ailleurs, la nouvelle direction soviétique, surtout après Brejnev et Tchernenko, semble décidée à poursuivre une politique nouvelle et modérée, aussi bien dans les affaires intérieures qu’extérieures. Ainsi, la menace du voisin du nord paraît avoir disparu et, avec elle, la nécessité de chercher un rapprochement trop étroit avec Washington.

Une politique indépendante

Le but souvent proclamé de poursuivre une politique indépendante a conduit la Chine à devenir plus prudente et, en même temps, plus critique envers les États-Unis. Dans les années soixante-dix, la Chine avait en général une mauvaise image dans de nombreux pays du Tiers Monde, à cause de son attitude zélée vis-à-vis des États-Unis. La crainte de l’Union soviétique était une chose, mais aller demander appui aux États-Unis était considéré par la plupart des pays du Tiers Monde comme incompréhensible, surtout pour un pays comme la Chine qui avait critiqué sans ménagement l’impérialisme américain dans les années cinquante et soixante.

Avec la mise en œuvre d’une politique plus ouverte et la décision de participer plus activement aux affaires mondiales, les nouveaux dirigeants chinois sont arrivés, au début des années quatre-vingt, à la conclusion que le rapprochement avec les États-Unis pouvait constituer un sérieux obstacle à leur efficacité dans le domaine de la politique internationale. Ils semblent donc avoir pris la décision d’adopter une politique plus équilibrée vis-à-vis des États-Unis et de l’Union soviétique. Cela est de plus en plus évident depuis le XIIe congrès du Parti communiste chinois, au cours duquel la direction du parti se fit un devoir de critiquer les États-Unis et l’Union soviétique à plusieurs reprises et d’annoncer que la Chine entendait poursuivre une «politique extérieure indépendante».

Depuis la visite de Richard Nixon en Chine en 1972, les relations sino-américaines ont traversé trois phases: la première phase (1972-1978) est caractérisée par un processus de normalisation, la seconde (1978-1982) témoigne d’une période d’entente mutuelle, alors que la phase actuelle est marquée par le développement de relations normales entre la Chine et les États-Unis, c’est-à-dire ni trop proches ni trop distantes. Cependant, un grand nombre de facteurs divisent les deux pays. Tout d’abord leur vision du système international n’est plus la même. Le facteur soviétique qui l’unissait est dépassé. D’ailleurs, la perception chinoise des relations Nord-Sud ou du rôle des États-Unis dans le système international est très différente – parfois même opposée – à celle des États-Unis. Ensuite, des cadres de références idéologiques séparent les deux pays. Leurs vues concernant le développement de la société ne sont pas seulement contradictoires, mais aussi conflictuelles. Pour le moment, les deux pays ont minimisé cet aspect de leurs relations. Mais qu’ils puissent continuer ainsi reste une question sans réponse. Enfin, la question de Taiwan les sépare. La république populaire de Chine n’a pas abandonné son objectif de rattacher Taiwan au continent. Pour le moment, elle a exprimé le souhait de chercher à atteindre son but dans la paix, sans bien sûr renoncer à utiliser éventuellement la force. Les États-Unis, de leur côté, continuent à développer leurs relations avec Taiwan. En même temps, ils insistent sur une solution pacifique au problème de la réunification. La question qui se pose est de savoir ce qui pourrait advenir des relations sino-américaines si la Chine arrivait à la conclusion qu’une solution pacifique n’est pas possible, que la coexistence indéfinie avec un Taiwan prospère – représentant un système socio-économique différent – est une menace potentielle pour la Chine socialiste. L’équilibre qui a été établi entre les États-Unis et la Chine est donc très précaire. Les relations peuvent continuer sans heurts pendant des décennies, mais elles peuvent aussi dégénérer si les différends concernant l’un ou plusieurs de ces facteurs deviennent très sérieux.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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